Un moment particulier ….
Jésus est au nombre des pèlerins qui marchent vers Jérusalem, pour y célébrer la fête de la Pâque juive. Il semble marcher en tête de la caravane. Pour lui, l’heure est grave, sa vie est en jeu, il le pressent : par deux fois déjà, il a évoqué la perspective de sa mort prochaine (Luc 09,22 et 09,43-45). Se retournant, il s’adresse à celles et ceux qui, dans cette foule, désireraient être comptés au nombre de ses disciples. Il évoque des choix àfaire : lui donner la priorité dans ses relations, porter sa croix – même ‘chaque jour’ (Lc 09,23), renoncer à tout ce qui nous appartient.
Propos rudes, déconcertants, peut-être même imbuvables. Le moins qu’on puisse dire, c’est que, s’exprimant ainsi, Jésus ne se soucie guère de son audience … Certains pourraient dire : « Mais pour qui se prend-il, celui-là ?! ». Il y a là de quoi décourager plus d’un de se mettre à sa suite ! Dès lors, comment comprendre ces paroles rugueuses ? Que peuvent-elles nous dire aujourd’hui ?
Des clés de lecture.
Il est bon de le rappeler : à l’époque, il n’existait ni carnet, ni de crayon ; pas davantage d’enregistreur ni de smartphone. Des années après, c’est l’évangéliste qui, éclairé par le Souffle Saint, place ces paroles sur les lèvres de Jésus. Elles sont en quelque sorte un écho de sa foi, de son expérience de croyant.
Autre rappel : l’évangéliste ne nous livre ni une injonction, ni une obligation qui viendrait de Jésus lui-même. Non, il nous transmet une invitation, ou le conseil d’un grand frère dans la foi. Avec lui nous pourrions chanter : « Tu es là au coeur de nos vies et c’est toi qui nous fais vivre » (L 102). Jésus ne s’est d’ailleurs jamais mis en avant : c’est de ce Dieu qu’il appelait ‘Père’ et de son désir de vie pleine pour chacun qu’il parle ; c’est pour Le rejoindre dans la prière qu’il se retire souvent. C’est donc vers Lui qu’il veut tourner nos regards. Il s’est aussi refusé à nous imposer quoi que ce soit. Il s’est contenté de proclamer l‘heureuse nouvelle’ d’un Dieu qui nous aime passionnément et qui souhaite vivants et heureux, et il a agi pour donner corps à ce désir.
Une expérience personnelle.
En me laissant travailler par ces paroles, un souvenir, déjà lointain, refait surface. Je participe à une session de formation à la relation avec l’Evangile comme balise. Un matin, l’animateur remet à chaque participant une feuille A4 avec une série de cercles concentriques de plus en plus larges et nous invite, en partant du centre, à y situer chacune des personnes avec qui nous sommes en relation, y inscrivant leur prénom. Lorsque nous nous retrouvons après un temps personnel, l’animateur nous fait découvrir deux choses importantes : pas de hiérarchie dans l’amour, mais des priorités.
Première découverte : il n’y pas de hiérarchie dans l’amour. Pour Jésus, l’agapè – qui est tout autre chose que l’affection que nous avons pour telle ou telle personne – sera toujours de vouloir la vie et le bonheur de l’autre, quel qu’il soit.
Seconde découverte : s’il n’y a pas de hiérarchie dans l’amour, il y a bien des priorités dans nos relations. Cela tient au fait de notre condition d’êtres humains limités : limites de temps, de forces, etc. Au nombre de ces priorités, celles et ceux dont nous partageons la vie au quotidien : parents, enfants, amis, collègues de travail. Mais qui dit priorités, dit aussi choix … et, en conséquence, renoncements. Des renoncements parfois ‘crucifiants’. Quand unde vos tout proches est gravement malade, vous renoncez spontanément à bien des sollicitations pour être à ses côtés, le soigner, lui manifester tendresse et amour.
« Dieu fait de nous en Jésus-Christ, des êtres libres » (K 34)
Selon le témoignage de S. Luc, faire le choix d’être disciple de Jésus, de marcher à sa suite, c’est donc lui donner la toute première place dans nos existences, tout miser sur lui et sur son message et, en conséquence, être disposé à faire, comme lui, des choix dans la ligne de l’Évangile. Car ses disciples, Jésus les veut libres et engagés :
– libres dans leurs relations,
– libres par rapport à eux-mêmes et capables d’en payer le prix,
– libres par rapport aux biens qui, parfois, nous possèdent, plus que nous ne les possédons.
Comment tenir sur le long terme ?
Ajuster notre existence à ce choix peut par moments s’avérer une démarche difficile. C’est pourquoi, avant même de nous lancer dans pareille aventure, et même régulièrement à la faveur, par exemple, d’une retraite, il est conseillé de s’asseoir et de prendre le temps de chercher comment tenir bon dans la durée. C’est ce que, selon moi, suggèrent les deux petites paraboles de celui qui veut construire une tour ou du roi qui s’apprête à partir en guerre.
Qu’est-ce qui effectivement pourrait m’aider, nous aider, à tenir dans la durée ? Ne l’oublions pas, nous pouvons compter sur la force de la prière et de l’eucharistie : l’ouverture au Souffle de Dieu et la communion avec Jésus constituent un puissant soutien. De même, le partage avec d’autres chrétiens – au sein de la communauté chrétienne locale, dans un groupe biblique ou une équipe de foyer, …- nous éclairera, nous aidera à nous recentrer sur lui et soutiendra notre élan.
