Comment vivre?

Comment vivre?

Didier Croonenberghs

Commémorer les défunts, ce n’est pas s’enfermer dans la spirale amère des pourquoi, mais c’est paradoxalement se poser la question du comment ! « Comment vivre? » Comment bien vivre en sachant que nous devons mourir? Comme vivre, en sachant que nous devons bien mourir? Comment être heureux malgré la perte de ceux qui nous aimons?

Parce que la mort met un terme irrémédiable à notre soif d’aimer, elle reste le mystère ultime de notre existence. Et bien que ce soit notre seule certitude sur terre, nous sommes toujours désemparés quand elle survient. Nous sommes comme désarmés, dans un monde qui aime maîtriser, posséder, conserver, immortaliser. Or, la mort, c’est la dépossession par excellence. Certains la fuient, en la taisant. D’autres la défient. Mais bien peu en parlent ouvertement.

Voilà pourquoi il nous faut apprivoiser la mort, l’accueillir, oser peut-être en parler plus souvent, la domestiquer pour mieux vivre, pour découvrir que le temps qui passe est le chemin que prend l’éternité de Dieu pour nous rejoindre.

Le christianisme —permettrez-moi l’expression— a remis la mort au centre, au milieu du village ! Prenez l’exemple des cimetières… Si dans la culture païenne, les morts étaient enterrés à l’extérieur des villes, les chrétiens ont voulu enterrer leurs morts dans le village, autour de l’église. Comme pour manifester ce lien qui nous unit avec tous ceux qui nous précèdent, par-delà la vie éternelle. Un lien, peut-être ténu, mais qu’il nous appartient d’entretenir.

Et si nous éprouvons de la gêne à parler de la mort, c’est peut-être parce qu’au fond de notre coeur, il y a finalement ce sentiment que la mort n’est pas notre destinée. L’amour au fond de nous la défie. Comme pour dire, à l’être aimé qui nous précède, « Je t’aime encore, tu restes bien vivant dans mon coeur, toi, tu ne mourras pas. » Oui, notre amour, notre fidélité peuvent être plus grands que la mort. Et c’est bien au nom de cet amour plus fort que la mort que nous nous rassemblons, dans l’espérance de la résurrection. Nous nous souvenons —en ce jour— d’un proche, d’un ami, d’un mari ou d’une épouse, d’un père ou d’une mère, d’un frère ou d’une soeur, d’un enfant, d’un membre de notre famille, disparus à nos yeux, mais dans la foi, toujours vivants dans notre coeur.

Par-delà la vie éternelle, ils sont des passeurs de vie. Ils ont usé la vie, été peut-être usés par elle, mais ils nous invitent à aimer, à vivre plus intensément la vie, sans pour autant la défier. Peut-être même que leur souvenir rendra le jour de notre grand passage plus facile à traverser. Alors, illusion, rêve ou fuite du réel? Peu importe, pour autant que cette foi en la résurrection qui nous rassemble, nous amène non pas survivre, mais à mieux vivre, à aimer davantage. Nos morts sont, dans les mains de Dieu, des grands vivants qui nous invitent à vivre la vie en abondance, et à éprouver l’urgence d’aimer.

Didier Croonenberghs