A l’époque, la lèpre – comme les autres problèmes de peau qui lui étaient assimilés – était considérée comme maladie très contagieuse et inguérissable. Elle était de surcroît considérée comme une forme de châtiment envoyé par Dieu. Ce qui faisait des lépreux des personnes doublement exclues. Exclues d’abord de la société : pour éviter tout risque de contagion, les lépreux étaient contraints de vivre hors du village et se tenaient à distance de leurs semblables. Exclues aussi de la vie religieuse à la synagogue et au Temple, car considérées comme impures.
Une chose frappe dans ce récit de guérison : Jésus respecte tous les codes de l’époque. Il entend les cris de ces lépreux et respecte la distance dans laquelle ils se tiennent. Il ne dispense aucun soin ; il ne peut d’ailleurs pas les toucher : cela entraînerait de facto pour lui la même exclusion que celle de ces malades. Il se contente de leur adresser une seule parole : « Allez vous montrer aux prêtres ». Il appartenait, en effet, aux prêtres de constater la maladie et donc de décréter l’exclusion ; il leur revenait aussi, le cas échéant, de constater la guérison et, par voie de conséquence, de réintégrer la personne guérie dans la vie sociale et religieuse.
Voilà qui met en évidence la confiance, la foi, dont font preuve ces dix lépreux. Ils ne semblent en rien déçus par l’attitude de Jésus. Bien au contraire ! Sur sa parole, ils se mettent en route pour Jérusalem où, dans le Temple, un prêtre pourra constater leur guérison. Et voilà que ce qu’ils appelaient de leurs cris et espéraient tant, advient : ils sont guéris, purifiés. Ils vont pouvoir reprendre une vie normale, parmi leurs semblables. Merveilleux !
Des verbes significatifs.
Dans cette page d’évangile, comme souvent, les verbes sont importants. Quatre d’entre eux ont retenu plus particulièrement mon attention : crier, revenir sur ses pas, rendre grâce et être sauvé.
« Crier »
Osons-nous aller vers Dieu ou vers Jésus en criant, parfois même en hurlant notre détresse, notre désarroi, voire notre colère ? Ne nous a-t-on pas appris à être trop sages, trop polis et lissés en sa présence ? Ouvrons le livre des Psaumes, ce recueil de prières de nos frères et soeurs juifs et chrétiens : nous découvrirons qu’il est rempli de cris, exclamations de joie comme cris de souffrance (Ps 04,02 ; Ps 06 : Ps 12 ; etc.). Venons donc à Dieu avec nos propres cris de détresse, de désarroi ou de mal-être, avec nos questionnements, mais aussi avec ceux de notre monde et de l’ensemble de la création qui « gémit dans les douleurs d’un enfantement » (Rom 08.22).
« Revenir sur ses pas »
Lorsqu’il se découvre guéri, le lépreux de Samarie revient sur ses pas plutôt que de poursuivre sa route vers Jérusalem : il chante à tue-tête, reconnaissant la place importante de Dieu (= sa ‘gloire’) dans son existence. Parmi ces dix malades, un seul, un étranger de surcroît, fait la démarche.
Il est devenu banal de le dire, nous courons après le temps, le rythme de la vie ne cessant de s’accélérer. Dans ce monde devenu un peu fou, prenons-nous parfois le temps de nous arrêter, le temps d’une retraite ou plus brièvement d’une récollection, ou encore le soir pour revoir le vécu de notre journée ? Ayons à cœur de faire régulièrement retour sur notre vécu, pour remercier Dieu et Le chanter quand son amour nous a rejoints à un moment difficile, ou quand son pardon nous a remis en route après que nos pieds aient trébuché.
« Rendre grâce »
Ce Samaritain n’est plus uniquement centré sur lui-même et sur la guérison de son corps. Il prend aussi conscience qu’un de ses semblables, en l’occurrence Jésus, est présence et instrument de Dieu sur sa route, et il vient l’en remercier. Ne nous arrive-t-il pas parfois d’être tellement ‘égocentrés’ que nous en oublions de dire merci : c’est comme si tout nous était dû. Comme ce lépreux guéri, apprenons à dire merci à celles et ceux qui, sur notre route et dans notre quotidien, sont des envoyés de Dieu. Cela ne ré-enchanterait-il pas quelque peu la vie de tous les jours ?
« Etre sauvé »
Etonnement ! Si les dix lépreux se sont découverts ‘guéris’ et ‘purifiés’, un seul est déclaré ‘sauvé’. Etre sauvé, c’est donc autre chose qu’être guéri ?! Comment comprendre la distinction faite par Jésus ? Voilà qui n’est pas difficile !
Je me risque à donner une piste. ‘Etre sauvé’ ne serait-ce pas – comme ce Samaritain guéri et purifié – être mieux ajusté dans toutes nos relations :
– avec Dieu dont on reconnaît la place centrale dans nos existences,
– avec les autres à travers les relations de proximité qui se tissent dans le quotidien, en apprenant à être attentifs les uns aux autres, à leur donner une place, à les écouter, et à les aimer,
– et enfin avec soi-même, en étant suffisamment décentré de soi pour se faire serviteur du projet de Dieu ?
N’est-ce pas ainsi que nous pourrons savourer cette vie qui aura alors valeur d’éternité et chanter à tue-tête avec notre Samaritain ?
